Alger et l’art: un principe révolutionnaire
Cette année, mon séjour de 3 mois à Alger fut ponctué de plusieurs visites aux musées et animé d'un réel désir de découvrir le monde artistique algérien. Dans ce document, je me suis amusée à répertorier quelques lieux artistiques importants d’Alger que j’ai personnellement visités et qui ont laissé en moi une empreinte saillante et indélébile. La majorité des musées d’Alger a été créée sous l’égide de l’État français, une manière pour celui-ci de s’approprier les biens et les richesses de la colonie. L’histoire complexe de tout un peuple devenait l’ornement d’une puissance coloniale, se parant de richesses volées, et célébrant ainsi les accomplissements de la colonisation. Voici une présentation de certains musées coups de cœur que j’ai visités, et en conclusion une réflexion sur les intentions artistiques post-indépendance et les initiatives d’un peuple qui restitue son identité.
Musée des Beaux-Arts d’Alger
Le musée des Beaux-Arts d'Alger, l'un des plus grands musées d'Afrique, est certainement l’un des plus impressionnants. Le musée surplombe la mer et le Jardin d'essai du Hamma, un jardin immense et pittoresque créé en 1832. Certaines scènes du film Tarzan (1932) ont d'ailleurs été filmées dans ce parc légendaire. La taille du musée est certes impressionnante avec trente-cinq salles de peintures, une galerie de sculptures, une galerie de moulages, une bibliothèque et un cabinet d’estampes. Au rez-de-chaussée se trouve la salle des moulages, au premier la salle de sculpture moderne et à l’étage supérieur, les galeries de peinture.
Architecture
Le Musée Public National des Beaux-Arts, dont la conception est dû à l’architecte natif de Guelma, Paul Guion, est un bâtiment de style art déco de quatre niveaux; il est une étonnante synthèse de styles divers, où se déclinent en toute harmonie les influences décoratives de l’art musulman médiéval comme celles de l’art antique méditerranéen associées à celles de l’art des années 30. À toutes ces spécificités, qui confèrent au lieu une grande originalité, s’ajoutent une Pergola suspendue à l’Italienne, ainsi qu’un parc visitable où poussent différentes espèces de la flore méditerranéenne et africaine.
Direction du tourisme et de l’artisanat Alger. Musée national des Beaux-Arts d’Alger. https://alger.mta.gov.dz/fr/musee-national-des-beaux-arts dalger/#:~:text=le%20Mus%C3%A9e%20Public%20National%20des,m%C3%A9di%C3%A9val%20comme%20celles%20de%20l'.
Musée des antiquités et des arts islamiques
Un autre de mes coups de cœur fut certainement le Musée des antiquités et des arts islamiques, le plus ancien musée d’Algérie. Il s’agit d’un véritable témoignage de la richesse culturelle du pays et du passage de nombreux peuples sur le territoire au cours de l’histoire. Le pavillon antique présente une collection issue de l’époque libyco et numide, punique, romaine, vandale et byzantine. Quant au pavillon islamique, il contient diverses créations artistiques de la période Umayyade, Abbaside, Rostomide et Aghlabide, Zyride, Hammadide, Almoravide, Almohade, Hafcide, Merinide et Andalouse, ottomane, puis de la dynastie de l’émir Abd-El-Kader jusqu’à l’époque contemporaine.
Pour le détail de chaque pièce: https://musee-antiquites.art.dz/presentation/
Musée du Bardo
Le musée du Bardo est un incontournable à Alger et l’un des musées les plus populaires et les plus appréciés. Sa construction remonte au XVIIIe siècle et aurait appartenu à un prince tunisien, le prince Omar, exilé en Algérie. La villa fut plus tard cédée à l'État français qui décida d’en faire un musée de préhistoire et d’ethnographie, comme le musée de l’Homme à Paris. La villa du Bardo est classée monument historique le 1er septembre 1985 et devient musée national le 12 novembre 1985.
Collections préhistoriques et ethnographiques
Ses collections préhistoriques, ses séries de gravures rupestres et certaines de ses séries ethnographiques, sont des documents uniques et révèlent la richesse de notre patrimoine à travers les âges. [...] Les collections ethnographiques du musée du Bardo sont constituées de collections algériennes classées par thème. [...] Une ethnographie étrangère est également représenté à travers des collections du Sahara occidental, d’Europe, d’Asie, du Maroc (bijoux, poteries) de la Mauritanie (vannerie, bijoux), de la Tunisie (costumes et accessoires), de la Libye (costume, bijoux) ainsi que du Moyen-Orient. La collection africaine est représentée quant à elle par des masques de cérémonie, des armes, des objets en vannerie, des statuettes et des attributs royaux.
Cartes Patrimoine Culturel Algérien. Musée Public National du Bardo. https://cartes.patrimoineculturelalgerien.org/fr/lieu/16-alger/1
Il y a encore bien d’autres musées à visiter à Alger, comme le Musée public national d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA), le Musée national de l'enluminure, de la miniature et de la calligraphie, le Musée national du moudjahid d'Alger et d’autres. Parmi ces musées, il y en a plusieurs qui étaient d’anciennes maisons/villas transformées en musée, les fameuses ‘Dar’.
Les musées, des institutions coloniales
Il ne faut pas oublier que ces institutions artistiques ont été fondées en pleine colonisation française, une façon pour l’État français de montrer ses accomplissements et sa présence en Algérie. C’est l’exemple du musée des Beaux-Arts, ouvert au public en 1931, célébrant ainsi le centenaire de l’Algérie française. Le musée ayant été développé par l'OAS, l’Organisation de l’armée secrète contre l’indépendance algérienne, quelque trois cents œuvres furent transférées à Paris en avril 1962 à la veille de l’indépendance, pour les déposer au musée du Louvre. Jean de Maisonseul, nommé en novembre 1962 conservateur du musée, mène de longues négociations qui aboutissent en décembre 1968 à la restitution des 157 peintures et 136 dessins. Bien que la majorité des musées se distinguait par des collections authentiques locales, celles-ci devenaient avant tout le symbole de la conquête coloniale et de l’appropriation française des biens historiques et traditionnels. Aujourd’hui, ces musées deviennent des artefacts de l’histoire et les lieux d’une identité restituée.
Des ambitions artistiques post-indépendance
Après l’indépendance, plusieurs initiatives populaires ont été mises en place pour rétablir une véritable culture algérienne. C’est le cas de la Cinémathèque, qui incarna la résistance populaire et l’affirmation identitaire d’un peuple libre. Installée sur la fameuse rue d’Isly, lieu historique où eut lieu la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962 (aujourd’hui renommée rue Larbi Ben M'Hidi en hommage à l'un des fondateurs du FLN, Front de libération nationale), la cinémathèque tient une position significative dans un quartier symbolique de la révolution. Voisine de la mythique librairie du Tiers Monde, qui organisait régulièrement des rencontres littéraires, et du Milk Bar, où eut lieu l’attentat du Front de libération nationale (FLN) perpétré le 30 septembre 1956 pendant la guerre d'Algérie; la cinémathèque est au coeur de l’histoire révolutionnaire algérienne.
Fondée le 23 janvier 1965, elle présente ses premiers films dans les locaux d'un ancien cinéclub, en plein centre d'Alger. Ses fonds réunissent longs et courts métrages, documentaires, photographies, périodiques, affiches et objets et matériels cinématographiques. Elle est également dotée d'une bibliothèque accessible aux étudiants et chercheurs qui peuvent avoir accès à une documentation et ouvrages sur le cinéma algérien.
Le directeur actuel de la cinémathèque, Salim Aggar, raconte la fondation de la cinémathèque:
Durant la guerre d’Algérie, le rôle de « coordinateur de la collecte des images » échut à Mahieddine Moussaoui. Il s’agissait alors de récupérer des images pour soutenir la cause indépendantiste et internationaliser le conflit. Une fois l’Algérie libérée, Mahieddine Moussaoui a pris la tête du nouveau Centre national de l’image et décidé de créer un grand centre d’archives. Celui-ci n’était pas conçu comme un lieu de projection, mais uniquement comme un service de conservation destiné à accueillir les photographies et les films rapatriés de Tunis. Il pensait en effet qu’ «un peuple sans histoire n’est pas un peuple, un pays sans archives pas un pays.» Mais, devant les difficultés, ce projet a évolué pour devenir une cinémathèque, c’est-à-dire un lieu destiné à la préservation et à la projection des seules œuvres filmiques. La Cinémathèque algérienne est née ainsi en 1965.
Aggar, Salim. Les trésors méconnus de la cinémathèque algérienne, Art Critique, Février 2020.
Des cinéphiles, des amateurs, des esprits curieux, se rassemblaient dans les salles de projection et prolongeaient les discussions tard en soirée; l’effusion culturelle était à son comble. La cinémathèque stimula alors la création d’un cinéma algérien authentique, mais également d’un cinéma africain en général. À la même époque d’ailleurs, en 1969, Alger accueillait le Festival panafricain, inondant alors les rues de célébrations grandioses révélant une Afrique libre, multiple et unie. La présence de certains Black Panthers, dans cette capitale qu’on surnommait “La mecque des révolutionnaires”, attestait de l’effusion populaire des années 60 et de la solidarité entre peuples qui en découla. La révolution avait certes insufflé une profonde exaltation chez le peuple et l’art devenait l’expression d’une liberté identitaire, culturelle et existentielle.
Vidéo du passage de Elridge Cleaver et du festival panafricain à Alger (1969)
L’art, une absence étatique
Aujourd’hui, l’art n’a certainement plus le même soutien étatique qu’il eut jadis au temps de l’indépendance. Lors de mon passage à la cinémathèque, j’ai eu l'occasion de discuter avec Morad, le directeur de la cinémathèque “par défaut”, puisque le directeur officiel avait déserté sa position dès qu’il eut l’opportunité de travailler pour une grosse chaîne de télévision. Dès lors, Morad était presque seul à devoir entretenir et faire vivre cette institution culturelle autrefois glorieuse. Je me suis présentée à deux de leurs événements, une première projection de courts films documentaires réalisés par des cinéastes algériens et une deuxième projection pour le festival du film européen. Chaque fois, la salle était pleine et les discussions qui suivirent la projection étaient dynamiques, profondes et révélatrices de la communauté de penseurs et d’artistes dans le pays. Malgré la vacuité étatique dans les milieux artistiques, la volonté populaire demeure forte et mon contact avec ce milieu m’a permis de percer, un petit peu, cette sphère créatrice d’une culture avec laquelle je renoue tranquillement.
Passionnant !
La progressive disparition de soutien politique envers l'Art, en quoi est-elle due ? À partir de quand ?
Penses-tu qu'elle est liée à la décision en 2006 de faire de l'Islam, la religion d'État en Algérie ? La religion, en général, s'accorde mal avec l'ouverture créative souvent ''critique'' voir théologiquement absente.
Ou est-ce juste dû à la crise économique ?